16/11/2011

De la nuisance sonore et de sa dangerosité pour l’équilibre mental de la Titane


Mmmh, il est 7h29 du matin, un mercredi, et vous ne le savez pas encore, en réalité, qu’il est 7h29. Cela fait deux jours que vous êtes malade et que vous dormez presque non stop dans la journée. La veille, forcément, l’endormissement a eu du mal à envahir votre corps mais vous avez mis à profit cet état de veille en écrivant. Puis à l’extinction des feux, vous avez envisagé avec sagesse de ne pas mettre de réveil et de compter sur votre horloge biologique pour exécuter le travail à sa place. 

C’était sans compter sur les adolescents pré-pubères qui rentrent au collège dès potron-minet et trouvent amusant, voire hilarant, de hurler comme des putois en se poursuivant au milieu des fourrés juste en-dessous de votre fenêtre. Des envies de projet Blair-Witch ou de Délivrance assaillent votre cerveau. L’envoi (attention cette phrase ne va pas être politiquement correcte et c’est tant mieux) d’un bataillon de gros pervers dans lesdits fourrés ose effleurer votre esprit déjà embrumé par une colère sourde et grandissante. Ce sont véritablement des cris de cochons qu’on égorge qui exultent de leurs gorges encore pleines des restes du petit-déjeuner. Ou alors au contraire de leurs estomacs vides et pas suffisamment repus pour apaiser leurs ardeurs matinales.

La solution de secours s’impose : les bouchons d’oreilles. Mais c’était, là encore, sans compter sur la perversité notoire d’une société qui a décidé de s’acharner sur votre sort. Se met en route, en s’approchant de manière tout à fait versatile, le souffleur de feuilles. Ha ! cet engin béni des pires inventeurs-emmerdeurs que la société puisse soutenir ! Surtout pour souffler des feuilles au milieu de la micro-prairie d’une micro-crèche dont les chérubins ne sortent plus que rarement aux vues des températures avoisinant les moins quelque chose. A cette machine infernale est venue s’associer, dans une démarche encore plus fourbe, la fameuse tondeuse à gazon, appareil privilégié des pseudos-jardiniers urbains qui pensent qu’une fleur ou qu’un brin d’herbe dépassant les deux centimètres de hauteur représentent un danger inéluctable de chute pour le quidam ou une pollution visuelle insupportable. 

Une fois de plus des idées d’une violence indicible vous submergent et vous vous attendez à de nouveaux rebondissements pour cette journée qui s’annonce, il faut bien le reconnaître, sous les meilleurs hospices. Vous vous levez et commencez à vous activer en calfeutrant vos fenêtres. Vous bannissez d’office la radio qui se transformerait en une cerise empoisonnée sur le gâteau. Seul le tapotement régulier des touches de votre clavier apporte un peu de réconfort à votre détresse et vous finissez par vous dire, tel un Jacques le Fataliste désespérant, que c’était ce que le ciel voulait : que vous bougiez votre gros popotin et que vous vous mettiez au travail, espèce de larve !

13/10/2011

Inversement proportionnel...


Le jour se lève. La lune traine encore un peu dans le ciel, elle ne veut pas retourner dans ses pénates. Elle sourit encore très légèrement, d’un œil goguenard. Vos paupières sont encore toutes ensommeillées et les discours à la radio ont quelque peine à pénétrer votre cerveau. On reconnecte délicatement les neurones, grâce au réseau sans fil bourré de théine. La journée devrait être sympa, vous n’êtes pas énervée dès le réveil. Ce petit regain d’espoir vous redonne de l’énergie et vous partez au boulot d’un pas alerte, l’esprit léger.

         Un matin qui s’avère relativement lent finalement. Vos élèves ont les yeux vitreux, leur regard un peu perdu. Ils écoutent, sages, et sont, pour une fois, plutôt efficaces. Mais calmes. Un peu trop calmes. Vous sentez que quelque chose cloche, et pourtant vous ne mettez pas le doigt dessus. Une tentative de motivation à la Full Metal Jacket : « Réveil, bande de faignasses. » Non ça en réalité vous ne pouvez pas le dire parce que sinon vous auriez la police en civil de l’Education nationale qui viendrait vous taper sur les doigts avec une règle en fer pour traumatisme à vie d’une génération entière de gamins. Après, donc, un « Allez, les enfants, on se réveille, s’il vous plait, sinon, on va finir par s’ennuyer et c’est vraiment pas drôle de s’ennuyer en classe, hein ? C’est pas drôle. » La matinée commence à s’accélérer et les enfants se secouent un peu le poil, s’ébrouent subrepticement. 

         Au cours de la pause méridienne, pendant l’aide personnalisée (oui bon le soutien, appelons un chat, un chat) les individus qui vous servent de disciples ont une légère tendance à l’excitation. La faim doit les tirailler (comme vous d’ailleurs) mais cela ne se traduit pas de la même manière. Votre abattement se révèle plus puissant au fur et à mesure que leur tension augmente. Ils donnent l’impression de fauves en cage.

         Retour de cantine, les cris pullulent dans toute la cour de récréation. Des cris qui se font de plus en plus furieux, stridents ; les courses plus rapides prennent la forme d’une chasse entre un guépard et une antilope. Les plus petits jouent les fanfarons mais les vieux briscards de CM2 ne leur laissent aucune chance. Juste avant la sonnerie qui devrait les sauver, plusieurs spécimens sont à terre, blessés, perdus pour le restant de la journée.

         De votre côté, la fatigue vous sarcle et vous empêche de réagir promptement et calmement. Les élèves peu à peu se muent en fauves sauvages pour qui chaque objet devient un nouvel outil de torture pour vos oreilles. Ils sont pires que des loutres ayant découvert qu’on pouvait casser une noix sur une pierre. Vos paroles sont lettres mortes. Vos explications ne peuvent même plus sortir de votre bouche sans être interrompues par un flot de sons incompréhensibles. 

         Dans toute la classe, les chaises se transforment en lianes servant à se balancer. Vous utilisez pourtant leur propre langage visuel pour faire entrer les connaissances dans leurs cerveaux. Un écran. Mais rien n’y fait. Le calme ne s’installe pas. Seule solution pour rompre l’excitation et vous empêcher d’appeler la SPA : une histoire. Le calme revient peu à peu, mais vous devez ajouter à votre récit, des mimiques, du jeu théâtral, un véritable one-woman-show, pour maintenir leur attention. Épuisant en fin de journée.

         La sonnerie vous sauve. Les fauves quittent le navire en hurlant et en se bousculant, comme s’ils n’avaient pas vu la lumière depuis des lustres. Le goûter se déroule sous des hospices bien chamboulés. Et l’heure d’étude qui suit n’est qu’un enchaînement de petits cris et "d’égosillements" d’élèves qui ne parviennent pas à calmer leurs ardeurs. Épuisée, vous finissez par menacer, quinze fois d’affilée, parce que maintenant punir ou sanctionner c’est mal. En perte totale de crédibilité, vous relâchez finalement le troupeau à 18h. Lessivée, vidée de toute l’énergie vitale qui vous avait tenu compagnie dans la matinée...

         Les questions affluent : mais qu’ai-je donc bien fait qui les a poussé à cette transformation ? Pourquoi ne parviennent-ils pas à se maîtriser plus d’une matinée ? Vous pourriez puiser dans toutes les pédagogies alternatives qui vous donneraient des réponses claires et simples, mais c’est en regardant le ciel à travers vos volets que vous comprenez enfin. Vous comprenez pourquoi l’agitation des élèves était inversement proportionnelle à votre épuisement.

         Des loups-garous ; oui vos élèves étaient en train de se transformer en loups-garous. Ce soir, c’est la pleine lune. Pratique non ?

NDLR :(La rédaction tient à vous rassurer, ça ne se passe presque pas comme ça. Presque pas.)