10/05/2012

Dis Maman, le bordel c’est quoi ?

Et bien ma chérie, le bordel c’est avant tout l’état dans lequel tu finiras bien un jour par mettre ta chambre. Des fringues portées une seule fois remisées en boule sur le sol, avec un soigneux mélange de culottes sales, de chaussettes très moyennes et de vieilles affaires de danse que tu finiras de faire sécher au sèche-cheveux juste avant ton cours. Le bordel c’est aussi tes cours sauvagement abandonnés sur ce qui te sert de bureau, c’est-à-dire ta chaise, le sol encore, une partie de ton lit une place et parfois une autre pièce de la maison. Oui car tu ne te contenteras pas d’envahir uniquement ton espace personnel. NON ! Tu prendras soin, consciencieusement, d’aller emmerder tes parents avec tes disques, tes bouquins, tes épingles à cheveux. Sans compter que tu ne pourras plus compter sur ta mère, qui aura largement baissé les bras et installé un tabouret devant ta porte afin de déposer ton linge doux, léger, propre et parfumé, étant elle-même dans l’incapacité de pénétrer dans ton antre.

Le bordel c’est aussi le jour où tu vas commencer à étudier et te faire à manger seule. Là, la vaisselle aura la fâcheuse manie de ne plus se laver de manière autonome. Le linge s’entassera encore, mais là, personne pour le sauver de la moisissure. Le bordel, c’est quand tu seras à la veille de tes exams de deuxième semestre et que tu n’auras pas mis d’ordre dans tes cours. Tu pleureras les larmes de ton corps parce que tu sauras, oui tu sauras, qu’entre la page 8 et la page 12 de ton cours de sociologie politique, il y a les autres pages, celles pour lesquelles le prof avait bien déclamé, d’une voix intelligible et claire : « Voici la partie la plus importante ! ».

Le bordel ce sera aussi quand tu commenceras à vivre avec ton amoureux. Tu auras déjà commencé à corriger certains travers. Tes cours seront d’une rigueur effroyable, fichés, résumés, classés, presque travaillés avant même d’avoir été pris en note. Mais ton amoureux n’aura pas toujours la même façon de vivre, alors tu te laisseras débordée. Tu voudras profiter de chaque instant avec lui. Jusqu’à en craquer et faire un ménage de printemps tous les dimanches, voire les soirs où il ne sera pas là. Ça sera le bordel des premières concessions.

Puis le bordel poursuivra sa route, inlassable, jusqu’à ton mariage qui marquera le début d’un bordel encore plus insidieux et pervers. Une impression de vie carrée, rangée, ordonnée enfin, mais vide de créativité, vide de bordel fructueux. Le bordel s’insinuera insidieusement dans tes pensées, ramollissant tes facultés, faisant de toi une vitrine de faux-semblant. Rien ne transparaîtra dans ton organisation quotidienne et pourtant tu t’infuseras jusqu’à perdre tes principes actifs. Et puis ce bordel explosera. Brève et rapide explosion. Libératrice explosion.

Le chaos prendra place un moment, histoire de laisser ressurgir ton petit bordel à toi. Il reviendra d’abord par la porte de derrière et toquera finalement d’un coup sec et franc à ta porte d’entrée. Rassurant ce petit bordel, bien à toi, oui, à protéger. Finalement, il est un peu ta force vitale.

Et puis un jour, reviendra un autre amoureux. Tu recommenceras un peu à oublier cette petite partie de toi, mais l’alarme aura été tirée une fois. Elle te parlera, elle titillera tes oreilles, elle te susurrera de subtils avertissements : « Méfie-toi du chaos, pense à moi, ton doux et rassurant petit bordel ! ». Alors tu agiras dans le bon sens, sans te perdre comme autrefois.

Là, tu réaliseras à quel point ce petit bordel, c’est ton bien le plus précieux. A présent tu devras le chérir et le conserver comme un trésor à ressortir dans tous les moments troubles, les moments de doute. Un allié précieux quand tu voudras changer de vie, de job, déménager encore et encore.

Ta force, celle qui fait, ma fifille, que je t’aime énormément. Mais en attendant, va ranger tes jouets. Et plus vite que ça.