06/08/2012

Dis, pourquoi tu dors pas ?

Tiens, il y a une tache au plafond. C’est bizarre, elle n’y était pas avant, ou alors, j’ai pas remarqué. Qu’est-ce que ça peut bien être ? Une fuite chez les voisins du dessus ? Non ça n’a pas l’air marron, et puis ils nous auraient prévenu, non ? C’est étrange on dirait qu’elle est un peu rouge. Il est fait avec quels matériaux cet immeuble au fait. Bon on s’en fout, rendors-toi. Et si c’était du sang ? Mais oui allez, dors. Non mais vraiment, ça fait longtemps qu’on les entend plus les voisins. Surtout leur bébé. Oh mon dieu et s’ils l’avaient tué. Peut-être qu’ils se sont enfuis et qu’ils l’ont laissé se vider comme un cochon égorgé. Merde, c’est dégueu. Je vais pas réussir à me rendormir là. Je me disais bien que je les trouvais louches ces individus. Et s’ils sont encore là, qui sait si ce ne sont pas des gros psychopathes. Je vais faire attention en les croisant maintenant. Putain ça fout les jetons. Allez dors, dors. Force-toi un peu et pense à des choses plus gaies. Rahh, c’est mort, je vais lire mon livre à la place : L’étrangleur du troisième étage, ça me changera les idées !
        
         Vous connaissez ça vous aussi ? Oui certainement. C’est un petit peu agaçant une insomnie, n’est-ce pas ? Elles sont comme des hydres. Vous avez beau les chasser, elles reviennent sans cesse envahir vos nuits. Elles sont multiformes, puisent leurs origines dans toutes les sources de frustrations, de peurs, d’angoisses et de soucis qui vous submergent. Le florilège des pensées qui nous assaillent la nuit laisse entrevoir un soupçon de schizophrénie aiguë. Certaines sont soft d’autres à la limite de l’internement.

         Il y a les insomnies qui vous permettent de configurer votre journée du lendemain, les « insomnies listing ».
« Alors je vais me lever à 7 heures, c'est-à-dire dans moins de deux heures. Sachant que je n’ai dormi que trois heures cette nuit, cela me laisse la possibilité de : me lever, faire le ménage, la vaisselle, la lessive, ranger tous les papiers, aller au boulot, assurer les presque 10 heures de présence sans piquer du nez, rentrer, faire les courses, finir de tailler et d’assembler ma prochaine robe, préparer le repas, débarrasser, refaire la vaisselle, (ici, c’est une femme sans enfant évidemment, sinon, il faudrait ajouter lever les enfants, les habiller, les faire petit-déjeuner, retrouver les affaires de classe qui manquent dans le cartable, mais pourquoi ça n’a pas été fait la veille, bon sang, les amener à l’école, les récupérer, amener le grand au rugby, le petit au judo, vérifier les devoirs, leur faire prendre le bain, les faire manger, laver les dents, lire une histoire, lutter pour que le premier éteigne la lumière et que l’autre ne fasse pas de cauchemar et pipi au lit), être sublime pour votre amoureux, faire un câlin, et… vous replonger dans une foutue insomnie.
Après avoir imaginé cette journée qui vous attend, il est évidemment impossible pour vous d’achever les deux heures de sommeil qui vous restaient. La journée va forcément prendre une tournure moins précise, plus chaotique. Du genre : vous vous cognez le pied au réveil, le chauffe-eau a pété, la voiture ne démarre pas, vous explosez au boulot déversant un maelström incohérent d’inepties à tous ceux que vous croisez, vous oubliez de récupérer le petit au judo, vous finissez par le retrouver au commissariat puisqu’on n’a pas pu vous joindre sur votre portable éteint, vous passez pour une mère indigne, le dîner crame parce que vous êtes en train de faire trente-six choses à la fois. Vous pensez très brièvement à faire un énorme bang avec le méthane qui s’échappe des brûleurs de la cuisinière mais votre optimisme vous en défend... Bref, la journée que vous aviez planifié avec précision se transforme en hécatombe pour s’achever en une chute vertigineuse dans un sommeil profond de plusieurs heures pendant lesquelles le monde pourrait bien s’effondrer, vos enfants détruire entièrement la baraque. Mais non, au contraire, face à cet épuisement absolu, votre compagnon s’occupe de tout en disant à voix basse à vos rejetons : « Chut les enfants, maman est très fatiguée aujourd’hui, alors on ne va pas faire de bruit ni d’histoire et on va tout faire à sa place ce soir. » Tirez-en la leçon que vous voulez !

         On vit aussi parfois l’insomnie-efficacité : tout ce que vous avez planifié dans l’insomnie ci-dessus, vous le faites pendant la nuit. Dans ce cas, essayez, si possible, de ne pas inclure toutes les tâches concernant vos enfants, vous finiriez encore au poste en laissant votre plus petit devant la salle de judo à 3 heures du matin ! Ca ne se fait pas, tout simplement. Non vraiment.

         Il y a aussi l’insomnie où vous rejouez votre journée. Vous savez, celle où vous vous êtes retrouvée incapable de riposter aux attaques, où les mots sont venus quelques heures après la bataille, celle où on se réfugie dans les toilettes après une rixe et qu’on se regarde dans un miroir en se disant qu’on est trop conne bordel de bordel. Mais cette nuit, pendant cette absence de sommeil presque salutaire, vous envoyez enfin péter votre collègue qui vous charrie sans relâche, les réponses aux angoisses que vous aviez eues sont effacées d’un revers de conscience nonchalante. Vous rechargez vos accu en puissance de feu redoutable. Cette insomnie-là est revigorante, mais ne sentez-vous pas un léger goût amer de : « Mais pourquoi n’as-tu pas eu la force de dire tout ça sur le moment ? » La prochaine fois, apprenez par cœur vos répliques cinglantes ; entrainez-vous sur votre compagnon, vos enfants, faites comme vous voulez, mais ne laissez pas passer les leçons de cette décharge d’adrénaline.

         Bon, il y a aussi l’insomnie-partagée. Celle-ci est vraiment fourbe, égoïste. C’est celle du : « Tu dors ? Hé, tu dors ? Hého, tu dors ? Oh pardon je t’ai réveillé. Désolée, j’arrivais pas à dormir parce que blablablablablablablablablabla. » Alors-là, dites-le vous tout net, si votre moitié ne vous tranche pas la gorge c’est qu’elle fait preuve d’un amour inconditionnel dont il s’agirait de conserver tout l’éclat pendant encore un bon moment. Alors choisissez une autre insomnie plutôt que d’affronter la honte d’avoir pollué l’esprit d’un être aimé. Bouh, pas beau…

         Comme vous le voyez, vous n’êtes pas seule face à votre psychopathie du sommeil. Alors racontez-nous, vous aussi, vos insomnies. Rassurez-nous en prouvant que tous ces moments de grande solitude ne sont pas uniques. Aidez-nous à accepter nos petits moments de folie passagère. Elle deviendra plus douce et acceptable. Et puis, vous avez peut-être des petits trucs infaillibles pour les faire passer. Nous acceptons tout : psy, tartes dans la gueule ou sages recettes de grands-mères.

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